Sénégal : élections sur le fil du rasoir
Qui de Macky Sall, de Karim Wade, de Khalifa Sall, d’Idrissa Seck ou d’Ousmane Sonko … sera le prochain président du Sénégal ? Les citoyens sont appelés aux urnes, le 24 février, dans un pays qui, connu pour son modèle de démocratie, offre aux yeux du monde un spectacle désolant avec la « traque aux adversaires potentiels ».
Le président Macky Sall, disent certains opposants, a pris toutes les dispositions nécessaires pour éliminer les candidats potentiels. Cette thèse, soutenue par la plupart des acteurs de la société civile et certains observateurs, semble être fondée au vu des séries de poursuites orchestrées par le pouvoir.
Pour rappel, le candidat du Parti Démocratique Sénégalais Karim Meissa Wade a été poursuivi dans le cadre de l’enrichissement illicite par une juridiction spéciale (CREI), dont la méthode est jusqu’à nos jours critiquée par les juristes. Condamné à 6 ans de prison, Karim fut gracié par le président Sall puis « contraint en exil » au Qatar où il réside actuellement. Malgré la notification de la cour de justice de la CEDEAO (qui avait considéré l’interdiction de sortie du territoire dans le cadre de la traque des biens supposés mal acquis comme une mesure illégale), du groupe de travail des Nations unies (qui considère que la condamnation de Karim Wade est arbitraire), du Comité des droits de l’Homme de l’ONU (qui a demandé à l’État du Sénégal la révision du procès de Karim Wade), le président Macky Sall n’a pas reculé.
Malgré les épines placées sur son chemin pour le neutraliser, Karim Wade est maintenu par son parti comme candidat et décide de rentrer au Sénégal pour battre campagne. L’État du Sénégal menace de l’arrêter une fois qu’il aura foulé le tarmac de l’aéroport sans les amendes de 138 milliards. Mais comment peut-on gracier un citoyen qui doit cette somme faramineuse à l’État du Sénégal puis l’expulser au Qatar et, in fine, brandir l’argument de « contrainte par corps » dès son retour au Sénégal ? Donc tant que Karim est au Qatar il ne payera pas ?
Considérant son emprisonnement comme une cabale politique, le PDS décide d’imposer la candidature de Karim. Car, l’État du Sénégal a échoué sur toute la ligne dans cette affaire et a montré aux yeux du monde que le président veut régler ses comptes avec la famille Wade. Face à cette injustice notoire, les membres du PDS, les Karimistes, les sympathisants, qui constituent une force réelle sur le terrain politique, menacent et affirment que « sans Karim Wade il n’y aura pas d’élection au Sénégal ». « Le candidat du peuple », comme l’appellent ses militants, est vivement attendu au Sénégal.
La question que tous les analystes se posent c’est comment Macky Sall compte gérer le retour de Karim à quelques semaines des élections ? Parce qu’il faut le dire, une mauvaise gestion du retour d’un candidat aussi puissant que Karim Wade peut mettre le Sénégal « à sang et à feu ». Le PDS semble déterminé à affronter le pouvoir pour faire accepter la candidature de Monsieur Wade. Macky laissera-t-il Karim Wade le battre à l’élection présidentielle ? Le mettra-t-il en prison au risque d’attiser le feu ? L’équation est posée…
Le même scénario s’est passé avec Khalifa Sall, ancien maire de Dakar qui contrôlait la capitale du Sénégal. Ciblé par le pouvoir parce qu’il constituait une menace pour l’élection présidentielle, Khalifa Ababacar Sall est aujourd’hui trainé en justice pour détournement de deniers publics à hauteur de 1,8 milliards de francs CFA dans le cadre de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Et pourtant, l’ancien édile de Dakar avait affirmé que le président Macky Sall aurait bénéficié des fonds tirés de cette caisse. La surprise était grande.
Mais, il faut dire que ce qui est désolant dans cette affaire et qui révèle qu’une cabale serait montée pour l’écarter de la course présidentielle, c’est le décret N° 2018-1701 portant révocation du maire de Dakar de ses fonctions alors que la procédure était en cours. Or, des juristes l’ont affirmé, sur le plan strictement juridique, Khalifa a toujours le droit de faire un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Ce recours est suspensif. C’est-à-dire que s’il use de cette voie de recours, la décision de la cour d’Appel sur la condamnation pénale sera suspendue jusqu’à l’intervention de celle de la Cour suprême. Et même s’il n’en fait pas usage, la décision de la Cour d’appel ne sera pas encore définitive et ce, jusqu’à l’expiration des délais du pourvoi. Par conséquent, la révocation de Khalifa SALL n’est pas conforme à la loi.
Pire, il est fixé sur son sort avant le verdict du Conseil Constitutionnel sur la validation des différentes candidatures. Une manière d’accélérer la cadence pour l’écarter de la course. Les militants de Khalifa menacent et affirment que leur candidat participera à l’élection présidentielle. Ils sont plus que jamais engagés à contraindre le pouvoir de faire face à l’actuel prisonnier le plus célèbre de Rebeus. Figurez-vous si le Conseil Constitutionnel invalide sa candidature. Des militants seront prêts à descendre dans la rue… L’État du Sénégal prendra-t-il un tel risque ?
Ousmane Sonko, le candidat qui affole la toile, semble être en ligne de mire. Sonko est devenu, par la force des circonstances, un adversaire sérieux qui draine une foule immense. Radié de la fonction publique pour avoir osé dévoiler des scandales gravissimes sur la gestion de notre pays, Ousmane Sonko est un des leaders de l’opposition, à l’image de Karim Wade qui est soutenu par une marée de jeunes engagés jusqu’aux dents.
Après la présentation de son livre-programme Solutions, le candidat de PASTEF a séduit plus d’un. Ousmane Sonko, à vrai dire, a connu une ascension fulgurante dans le champ politique. Il y a eu une sorte d’effet boomerang autour de ce jeune Inspecteur des Impôts et Domaines. Dès lors, il devient la cible puisque le camp d’en face pense, sans oser le dire, que Karim et Khalifa seront écartés. Ousmane Sonko commence à inquiéter.
Sonko himself affirme, lors de son meeting au terrain Acapes des Parcelles Assainies, que « Des réunions secrètes se tiennent au palais dont le seul but est d’invalider ma candidature ». Le Conseil Constitutionnel ose-t-il bloquer la candidature de Sonko ?
Déjà, Ousmane Sonko a pris en témoin ses militants, comme pour leur demander de se préparer au combat si jamais on bloque sa candidature. Il sort ses griffes et affirme : « Mais, qu’ils sachent que j’ai tous les comptes rendus de leur réunion. Qu’il pleuve ou qu’il neige, je participerai à cette élection présidentielle. Ma candidature est devenue une demande sociale. Le candidat Macky n’a qu’à se tenir prêt parce qu’il va nous affronter. »
Idrissa Seck semble être aussi une cible qui, même s’il échappe aux schémas, est gardé dans le collimateur. Recalé pour quelques signatures, le Conseil constitutionnel lui donne un délai (le 4 janvier) pour une seconde chance. Mais comment peut-on comprendre qu’Idy soit recalé ? Cela ne relève-t-il pas d’une intimidation ? On joue avec le feu…
Le président Idrissa Seck, hier cloué au pilori par sa fameuse déclaration sur la crise Israélo-palestinienne, est aujourd’hui porté au pinacle depuis la grande mobilisation du chef de file du FDS, Docteur Babacar Diop pour porter sa candidature. Ce come-back spectaculaire a fait trembler le palais. Idrissa Seck, homme politique à qui on peut reprocher tout sauf son background intellectuel, son art de la formule et de l’expression, semble reconquérir les cœurs de ses militants et sympathisants.
Face à ces différents faits, le président Macky Sall doit prendre du recul et bien réfléchir sur une élection libre et transparente. Sur le respect des droits des candidats. Sur la fiabilité du fichier électoral, sur la gestion du retour de Karim Wade, sur l’affaire Khalifa…Parce que sinon les élections risques d’être troubles.
El hadji Omar MASSALY
masselhadjiomar@gmail.com